Palimpseste d’Arnaud Dollen – IV

Oui, oui, on ne pleure pas ! La voilà la fin de votre nouvelle Palimpseste d’Arnaud Dollen

Et pour ceux qui prendraient la nouvelle en cours :

Palimpseste I
Palimpseste II

Palimpseste III

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Palimpseste – IV

Je flâne dans la cité-forêt. J’aurais pu emprunter le téléphérique ou utiliser un DALEC, mais je préfère marcher. C’est tellement agréable, maintenant que je suis guéri. Débarrassé de la maladie de Willebrand, je suis un homme nouveau. J’ai l’impression d’être libéré d’un poids, un poids que j’ai toujours connu. La douleur. Elle était ancrée en moi depuis ma naissance. Elle saturait mon corps, pilotait mon quotidien, influençait mon caractère. Le contraste avec mon bien-être actuel est saisissant. Les premières semaines j’ai eu du mal à m’y faire, probablement autant qu’un aveugle qui recouvre la vue. Heureusement, le temps guérit tout, même si dans mon cas il a fallu des siècles. Je ne renie pas pour autant mon ancienne souffrance. Elle m’a façonné, au même titre que le fanatisme de ma mère.
Mes yeux volent d’un détail à l’autre. S’il est digne d’intérêt, mon regard s’y pose, le temps pour mes paupières de battre une ou deux fois comme les ailes d’un papillon avant de reprendre son envol. Je m’arrête sur l’une des statues qu’on trouve un peu partout, transformant la ville en musée à ciel ouvert. Elle me rappelle l’une de celles qui décoraient mon loft. Tiens, un nouveau souvenir de retrouvé… J’ai abandonné depuis longtemps l’espoir de recouvrer intégralement mon passé. Je me contente de renouer avec lui par petites touches, qui sont autant de coups de pinceaux sur un tableau impressionniste. D’abord frustré par le manque de netteté, j’ai fini par apprécier cette mémoire suggérée plutôt que montrée. Je trouve qu’elle y gagne en mystère et en beauté.
Le hasard me fait traverser l’un des nombreux parcs de la mégapole. Ils ont bien changé depuis mon époque de sècheresse chronique : de larges pelouses bien entretenues, ombragées par de grands arbres au feuillage dense, où l’on vient pique-niquer en famille. Je m’assieds sur un banc pour profiter de la météo idéale. Je ne tarde pas à lever les yeux vers le ciel : ses deux soleils et son anneau ne cessent de m’émerveiller. Avant de me remettre en route, je me déchausse pour sentir l’herbe rase sous mes pieds. Je m’amuse à la peigner avec mes orteils.
Un peu plus loin, je croise une fontaine de lumière. Mes bottes tenues à l’épaule, je m’offre une douche improvisée sous les gouttes lumineuses. Des enfants s’amusent des arcs-en-ciel que je provoque. D’un geste je les encourage à me rejoindre, ce qu’ils font une fois quêté l’accord de leurs parents. Moi l’ambitieux chef d’entreprise, voilà que je m’amuse à courir derrière des gamins. Je crie et menace comme avant, mais c’est pour de faux ; je ne veux cette fois pas obtenir le contrat du siècle, seulement des éclats de rire. Cette ville a fait de moi un autre homme. Un homme meilleur.
En me quittant pour rejoindre ses parents, une fillette tombe et s’écorche le genou. Quelques gouttes de sang perlent, trois fois rien. Pourtant, à en croire les hurlements que pousse la gamine, l’amputation semble inévitable. L’incident me fait sourire, puis je repense au bras cybernétique de mon sauveur, sur le chantier. Dire qu’en le voyant j’ai cru avoir affaire à un robot alors qu’il s’agissait simplement d’une prothèse. Athias m’a pourtant parlé des inévitables accidents justifiant la persistance des hôpitaux. Quand je vois la sollicitude de ce père avec sa fille, qui souffle sur le bobo et enchaîne les grimaces jusqu’à faire surgir le rire au milieu des larmes, comment ai-je pu croire qu’il ne s’agissait que de vulgaires machines ?…
C’est peut-être l’énormité de mon erreur qui m’a poussé vers la voie que j’ai choisie en guise de nouveau futur. Je me suis fixé pour objectif de lutter contre toutes les maladies orphelines. Pour guérir mon Willebrand, Athias a dû mobiliser des moyens colossaux, même selon les critères de cette société d’abondance. L’opération fut si complexe et longue que j’ai été plongé dans le coma des semaines durant. Un autre que moi n’aurait pas bénéficié d’une telle mobilisation de la part du corps médical : si les ressources sont désormais illimitées, le temps reste fini, lui. Je veux rendre ce type d’opération accessible à tous. J’en ai la capacité, je le sais. Entre autres souvenirs, je me suis rappelé mes débuts. Emancipé à treize ans, j’ai piraté mon dossier scolaire pour modifier mon nom et ma date de naissance. Et améliorer sensiblement mes notes, au passage. J’ai ainsi pu intégrer un laboratoire de recherches médicales. Mon idée initiale était de trouver un remède à ma maladie génétique. En plus d’être motivé, j’étais vraiment doué… mais pas à ce point. Cette expérience fut néanmoins fondatrice dans la création de LNS, avec le succès qu’on connaît. En combinant le savoir médical d’aujourd’hui, les facilités d’accès à tous types de matériels et mon sens de l’organisation, je pense pouvoir mettre au point de nouveaux traitements à la fois efficaces et simples.
Le Eric Lorghian d’antan se serait contenté de sa conviction personnelle, mais le nouveau moi préfère se rassurer avant d’évoquer le projet auprès de Maruzia. Je m’approche donc d’une des matrices en libre-service, on en trouve un peu partout. Installées dans les murs des bâtiments, ces machines me rappellent le four encastrable de mon ancien loft. Dès que je pianote mes instructions sur l’écran 3D, la cavité se transforme en un opéra pour ballet lumineux. Des centaines de faisceaux lasers tricotent fébrilement la matière par couches ultrafines, construisant dans le renfoncement la maquette d’une molécule médicamenteuse. Comme à chaque fois que je le fais, voir la machine mélanger les matériaux élémentaires à la façon d’une imprimante combinant les couleurs primaires me rappelle la troisième loi de Clarke : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». La science-fiction qui devient réalité, voilà qui m’enthousiasme toujours autant.
C’est grâce aux matrices que tout un chacun peut gratuitement assouvir ses besoins primordiaux. L’une de leurs fonctions de base est de fournir des pilules nourricières semblables aux comprimés de mon époque. Elles ne sont pas très gastronomiques, mais tous les apports nutritionnels sont micro-dosés pour garantir une parfaite hygiène alimentaire. Elles contiennent même des composés actifs prévenant l’atrophie du système digestif. Bref, ces pilules sont l’Antéchrist des diététiciens. Les matrices sont capables de produire des plats plus raffinés, mais j’ai d’emblée adopté ce régime minimaliste. Je n’ai jamais été un gourmand.
Ça y est, ma maquette est terminée, celle d’une molécule qui devrait soigner l’hémochromatose autrement que par les habituelles saignées. Je l’attrape et la manipule dans tous les sens. Satisfait du résultat final, je suis rassuré sur ma capacité à faire aboutir mon projet. Dommage que je ne puisse le mener en collaboration avec Athias. Depuis ma guérison, nous sommes en froid tous les deux. J’ignore pourquoi. J’ai dû perdre tout intérêt pour lui, une fois qu’il a triomphé du défi que je représentais.
« Trop joli, ton vaisseau spatial. On dirait un Essaim ! », s’exclame un gamin que je n’ai pas entendu approcher.
Mon sauvetage miraculeux a eu pour conséquence inattendue de faire revenir l’opération Essaim des Etoiles à la mode. Moi, l’amnésique, faisant ressurgir les souvenirs de toute une civilisation, n’est-ce pas ironique ? Même si la silhouette de la molécule n’a rien à voir avec celle des vaisseaux-arche, je l’offre volontiers au garçon émerveillé. Il me remercie à la va-vite et s’enfuit, craignant que je ne change d’avis.
Une icône clignotante apparaît dans un recoin de ma vision. Je capte le mot tempus avant de chasser le tout, comme je le fais systématiquement des alertes relayées par la noosphère à mon interface rétinienne. Je ne m’y suis toujours pas habitué, au point de regretter d’avoir demandé une connexion. Tous ces affichages me parasitent la vue. J’ai trop de merveilles à admirer pour perdre du temps à lire des sous-titres. Le seul intérêt de l’interface, c’est le système de géolocalisation ; me perdre une fois a failli me coûter la vie, je ne tiens pas à récidiver. En quelques mouvements de paupières, j’affiche le plus court chemin vers la cathédrale avant de me mettre en route.
Une dizaine de minutes plus tard, je retrouve Maruzia. Seule, elle est agenouillée devant la croix de Jésus le Cristallin, les mains nichées dans son cou. En attendant la fin de sa prière, je détaille le caisson cryogénique transformé en autel. Il ressemble étrangement à celui que j’ai quitté il y a plusieurs mois. Une coque en céramique, comme le mien, quoi qu’en bien plus mauvais état. La paroi vitrée similaire, gravée non pas du logo de ChArON mais du nom d’un vaisseau d’exploration, le Q-M Ran. Jamais entendu parler. Il ne s’agit pas d’un vaisseau-arche, c’est tout ce que je sais — j’ignore encore quel était mon plat préféré, mais je connais par cœur le nom de chaque Essaim. Le caisson est vide, l’assise matelassée défoncée par son ancien occupant. La légende prétend que l’empreinte est celle du corps de Jésus le Cristallin. Curieusement, j’ai envie d’y croire.
Contrairement à ma première venue ici, je ne me sens plus oppressé par ce lieu saint. Prétendre que je m’y sens à l’aise serait toutefois exagéré. Je n’ai toujours pas fait la paix avec l’Eglise, mes griefs sont trop profonds. Néanmoins, purger mon corps de ses anciennes douleurs m’a débarrassé d’un terrible poids. Je pose désormais un regard plus léger sur la vie, ce qui fait qu’à défaut d’être prêt pour l’oubli, je suis disposé au pardon. Ces dernières semaines, j’ai pu vérifier que les différences entre la société actuelle et celle que j’ai quittée découlent de l’enseignement dispensé par Jésus. Le prophète ne m’a toujours pas converti à sa foi, mais il m’a convaincu de m’intéresser à son enseignement pour me faire un avis neuf.
Maruzia finit par se relever. Réjouie par ma visite, elle m’embrasse comme nous en avons pris l’habitude — un honneur, quand on sait que personne ne se serre plus la main. Je lui détaille immédiatement mon projet, sans prendre le temps de nous éloigner de l’autel pour nous asseoir. La papesse se montre enthousiaste, aussi j’ébauche mon plan de développement.
« Les dossiers médicaux contenus dans les aiguilles d’Hypérion me seraient d’une aide précieuse. J’espère qu’Athias m’y donnera accès, malgré nos relations tendues.
– J’en suis sûre, me rassure Maruzia. Laisse-lui juste un peu de temps pour surmonter sa déception. Il était tellement persuadé que te guérir ferait de lui un apôtre.
– Hé bien, n’est-ce pas ce qu’il a fait ? Me guérir ?
– Si bien sûr, mais pas de la façon… » Maruzia me lance soudain un regard affolé. Une alarme interne agite aussitôt mes neurones comme autant de grelots. « Il ne t’a pas expliqué ? Non, je vois bien que non. Athias, quelle odieuse façon de te venger !
– Quelle vengeance ? Il devrait m’expliquer quoi ? »
J’aurais voulu ne jamais poser la question. Ne pas savoir la vérité. Sauf que c’est déjà trop tard : tenue par le dogme de la transparence, Maruzia me révèle tout.
Abasourdi, j’écoute la papesse m’expliquer que mes nouveaux contemporains ont renoncé à l’argent et au pouvoir pour y substituer une espérance de vie prédéterminée appelée tempus. A la naissance chaque individu bénéficie d’un tempus de cent vingt ans. Cette durée varie en fonction des individus. A ceux qui exigent des matrices plus que la simple satisfaction de leurs besoins primaires, il est prélevé un fragment de tempus ; autrement dit, mener une existence luxueuse raccourcit votre vie. A l’inverse, il est possible d’augmenter son tempus en accomplissant des activités d’utilité publique, comme s’investir dans la communauté, assister autrui dans ses projets ou tout simplement élever un enfant. Le coût ou le gain de tempus correspondant à chaque action est, comme toujours ici, fixé par consultation populaire via la noosphère.
Ce système est d’autant plus cynique que ses promoteurs ont cherché à le justifier. La médecine actuelle permet en théorie de vivre éternellement, mais le prix à payer a été jugé trop élevé. Etre immortel, c’est ne plus connaître l’urgence et donc n’avoir plus aucune raison de se transcender ; c’est le risque de se croire invulnérable et donc d’être indifférent à sa vie ou à celle d’autrui ; c’est réaliser avec le temps combien l’immortalité est longue, surtout vers la fin. Pour toutes ces raisons, le tempus est plafonné à trois cents soixante-cinq années. Sans cette limitation, on peut devenir immortel et le tempus perd toute signification. Pourtant, une dizaine d’individus a accompli des exploits tels que la population leur a accordé le titre d’apôtre, le cénacle qui entoure la papesse Maruzia. Ceux-là sont immortels.
Je n’écoute déjà plus Maruzia. Une seule question m’obsède : et moi, combien de temps me reste-t-il ?
Le dos glacé de sueur, les mains moites, le visage surchauffé par les émotions qui s’y disputent, j’essaye d’activer cette maudite icône. L’affichage du tempus n’a jamais cessé de m’encombrer la vue, et maintenant que je veux à tout prix le voir, impossible de le faire apparaître. Je n’en peux plus d’attendre, il faut que je sache. Et vite !
« Maruzia, combien de temps ? » Mon désespoir est palpable.
« Cent vingt années de vie en bonne santé t’attendent, Eric. » Pour m’apaiser davantage encore, Maruzia me caresse le visage d’un geste doux, maternel. « Plus même, si tu mènes à bien ton projet. »
Je respire. Plus d’un siècle, c’est peut-être banal pour les autres, mais pour moi c’est inespéré. En plongeant dans le cryosommeil, je rêvais de gagner quelques années, voilà que j’ai tout le temps du monde. Miraculeux. Jouissif. Et pourtant, mon ivresse est de courte durée, car un doute me taraude.
« C’est quoi, cette histoire de vengeance ?
– Eric, tu représentes tant pour nous, reprend la papesse d’une voix tendue. Rends-toi compte, le dernier homme à être sorti de cryosommeil est devenu notre Messie. » Sa main quitte ma joue pour se poser sur le caisson vide transformé en autel. « Nous savions que tu étais malade, mais nous ignorions de quoi. Tu as donc été déclaré “miracle potentiel” : celui qui te guérira sera nommé apôtre. De telles occasions sont rarissimes. Athias s’en est aussitôt emparée, d’autant qu’il cumule déjà le tempus maximum. Son entrée au cénacle était sa dernière chance, mais pour cela il devait te sauver la vie. Vu ses talents exceptionnels, il…
– On s’en fout, d’Athias ! Revenons plutôt à moi. »
En une phrase seulement, je retrouve l’individualisme et la hargne qui m’animaient avant ma guérison. Le lac placide qu’est devenue ma vie recommence à bouillir de colère, ce qui m’effraye autant que les révélations de Maruzia.
« Athias s’est attelé à ta guérison dès que tu as été ramené du chantier. Ton état était critique, impossible de mener de longues recherches médicales sans prendre le risque de te perdre. Il a insisté pour qu’on lui accorde un peu de temps, mais ça lui a été refusé. En lui interdisant de te guérir, on l’a privé de son immortalité.
– Mais je suis guéri ! Je suis débarrassé de mon Willebrand. Je le sais, je le sens. » Les grelots qui résonnaient dans ma tête sont devenus carillons. « A moins que… » J’ai soudain un atroce soupçon. Un frisson tord ma colonne vertébrale. « Ne me dites pas que vous avez… »
Sans attendre sa réponse, je griffe profondément mon bras. Je gémis, mais pas de douleur. « Pitié… Pas ça ! » Je m’acharne jusqu’à arracher tout un lambeau de peau. Il s’enlève trop facilement. « Non-non-non… » Un bras cybernétique !
« Vous m’avez transformé en robot ? »
L’impétuosité dans ma voix fait reculer instinctivement Maruzia. Ses genoux butent contre l’autel.
« Ton corps seulement est cybernétique. Ton cerveau, tes souvenirs, tout a été conservé. Tu restes toi, Eric.
– Je ne sais même pas qui je suis vraiment ! »
Une haine terrible me glace l’estomac. Il faut que ça sorte, sinon je vais exploser. Un torrent de fureur remonte mon échine pour se transformer en hurlement de rage quand je l’expulse au visage de Maruzia.
« Vous m’avez changé en un putain de robot ! Comment tu as pu les laisser me faire ça ?! »
J’ai beau vociférer, ça ne suffit pas à évacuer toute ma colère. Alors je serre les dents à m’en fissurer l’émail, la tête vibrant sous la pression de mes mâchoires. La tétanie gagne rapidement mon cou et descend jusqu’à mes poings. Le lambeau de chair qui pend de mon bras en charpie tremble. Toute cette pression, elle va me tuer si elle reste prisonnière de mon corps. Des larmes de rage noient mes yeux. Ce ne sont pas des larmes de sang, pourtant elles font bien plus mal.
« Tu es des nôtres, désormais », tente maladroitement Maruzia.
C’en est trop. J’abats mon bras épluché comme un fruit sur la paroi vitrée du caisson transformé en autel. Elle s’étoile dans un crissement de banquise.
« Je ne… »
Je frappe la cloison, des deux bras cette fois. Elle explose dans une gerbe de diamants qui tombent à l’intérieur en tintant.
Maruzia me regarde avec effroi.
« … suis pas… »
Grisé par la puissance de mon nouveau corps, je me penche dans le caisson, agrippe le casque d’interface qui analyse les fonctions vitales du cryogénisé et tire de toutes mes forces.
La papesse cache son visage dans ses mains, incapable de s’opposer à mon sacrilège.
« … comme… »
J’arrache tout l’équipement d’un seul coup : régulateurs thermiques, boucles fluides du circuit de refroidissement, systèmes de survie, je brandis au-dessus de ma tête cet enchevêtrement de câbles, tel Persée avec la tête de Méduse.
Mon amie pleure sur ma propre folie.
« … VOUS ! »
Je suis galvanisé par la détresse de Maruzia, je la goûte avec un plaisir vicieux, je m’enivre de son chagrin. Ils ont détruit mon humanité, alors je piétine leur relique. Ça leur apprendra ! Et puis une icône se met à clignoter fébrilement sur ma rétine. Elle affiche :
Perte de tempus pour destruction volontaire d’un objet irremplaçable – 803527 unités.
Tempus restant – 239712 unités.
D’un clignement d’œil intuitif, j’active l’option « conversion des unités ». Un nouveau chiffre apparaît, indiquant le temps qu’il me reste à vivre : 27 années, 4 mois et 17 jours environ.
Je viens réellement de perdre un siècle de vie ? C’est inconcevable ! Les bras toujours dressés, je me tourne vers Maruzia pour la prendre à témoin. Elle a un air défait, perdue, malheureuse. La voir dans cet état me dégrise subitement. Mon corps vacille, libéré de ses tensions. Je réalise l’ampleur du désastre. Un bref moment d’égarement, et c’est tout un pan d’éternité qui s’envole.
Ma colère reflue, abandonnant derrière elle les ravages d’un tsunami. La peur et la honte me glacent plus encore que ma fureur évanouie. Je remets délicatement en place la pelote de câbles que je tiens toujours en main. Et si j’essayais de reconnecter le tout ? J’ai beau être doué en électronique, je ne vais pas arriver à grand-chose à mains nues. Désespéré, je me tourne vers Maruzia. Elle m’adresse un sourire triste, puis ferme brièvement les yeux en signe de sympathie. Je crois qu’elle m’abandonne quand elle s’éloigne, alors qu’en réalité elle s’approche de la matrice près du reliquaire. Elle en revient les bras chargés d’outils.
Après de longues heures de travail ininterrompu, je me recule fièrement. Le caisson cryogénique n’est certes pas encore opérationnel, mais la connectique est fonctionnelle et il arbore une nouvelle cloison vitrée générée par matrice. J’y ai même ajouté le logo du Q-M Ran, le vaisseau inconnu.
Je m’autorise enfin à consulter mon affichage rétinien, volontairement éteint le temps des travaux.
Gain de tempus pour réparation partielle d’un objet irremplaçable en coopération avec un tiers – 4314 unités.
Tempus restant – 244026 unités.
Oh merde…

Fin

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

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