Palimpseste d’Arnaud Dollen – I

Le petit Arnaud Dollen est en semaine ingénieur dans le domaine spatial, profession consistant essentiellement à s’assurer que le satellite ne va pas tomber en morceaux quand la fusée va le propulser dans l’espace (c’est lui qui le dit!).
Depuis tout pitchou, il nourrit plusieurs passions : l’espace, les dessins animés des années 80 , le jeu de rôle (qu’il pratique encore régulièrement en grand adulescent de 40 printemps)  et l’écriture.
Et voilà qu’il est tout content de  pouvoir toutes les pratiquer !
Parce que Môssieur Arnaud scénarise, entre autres chez Delcourt, avec Jérôme Alquié au dessin, pour sa série Surnaturels
et s’est déjà essayé au roman de Fantasy avec L’Anneau des Sept – La Croisée des destins.

arnaud dollen

Biblio de Môssieur Arnaud :

L’Anneau des Sept – La Croisée des destins – Cartoonist Factory – 2002

Avec Jérôme Alquié :
Un choix tellement humain – Surnaturels T1 – Delcourt – 2011
La Malédiction des vampires – Surnaturels T2 – Delcourt – 2011
Forces élémentaires – Surnaturels T3 – Delcourt – 2012
Promettez un avenir à Silène – surnaturels T4 – Delcourt – 2013

BD en format numérique chez Tekneo en 2010 :
Fatespinner avec  Jean-Jacques Dzialowski
Lorghian & Sharylla avec Jérôme Alquié
Via Mortis avec El Théo

Logo Palimpseste

Arnaud nous offre ici une nouvelle annonçant la BD qu’il concocte avec Gilles Francescano.
Merci, Maître Arnaud, de nous en avoir dédié la primeur, bien fraîche !

 

Palimpseste I

A Gérard Bourger et Stéphane Manfredo,
qui ont guidé ma plume au-delà de ce qu’ils imaginent.
A Gilles Francescano, qui me fait l’honneur d’illustrer mon monde pour en faire le nôtre.
A toute l’équipe de Bédéciné en général et à Cathy Martin en particulier ;
sans leur incessant soutien, nous autres auteurs n’aurions jamais rencontré notre public.

Qui suis-je ?…
Cette question est une allumette craquée dans l’immense noirceur de mon oubli. Il s’agit bien de noirceur et non de ténèbres : les souvenirs sont là, mais trop indistincts pour m’éclairer sur mon passé. Cette présence suggère l’immensité de tout ce que j’ai perdu. C’est presque pire qu’un grand vide.
A la panique de l’amnésique qui se découvre s’ajoute l’angoisse du paralysé : mon corps tout entier est comme prisonnier dans la glace. Heureusement mes yeux restent mobiles. J’entreprends de fouiller mon environnement, fébrile, tel un naufragé qui cherche un débris d’épave pour survivre au désastre. Les recherches sont dramatiquement courtes : hormis un brouillard de lumière diffuse, seule une inscription est visible. Gravée à quinze centimètres de mon nez à l’extérieur d’une surface transparente et concave, il faut que j’en inverse les lettres pour lire :

ChArON

Première étincelle de souvenirs.
Ce logo est celui d’une agence de cryogénie à qui moi, Eric Lorghian, ai confié le soin de préserver mon corps parce que…
Parce que…
Ça va me revenir, j’en suis sûr. Il suffit d’attendre que se dissipent les séquelles de mon hibernation : bouche pâteuse, estomac brouillé, paupières qui collent, léger tournis. On dirait un lendemain de cuite relativement sage. Mes articulations en revanche sont rouillées comme celles d’un vieillard arthritique.
En attendant le retour complet de ma mémoire, je me rappelle davantage que mon seul nom. J’ai trente-sept ans. Jeune donc, et pourtant fondateur et unique dirigeant de Lorghian Network Supply — le plus souvent raccourci en LNS. Une société spécialisée dans l’approvisionnement de matériel pour colons spatiaux : combinaisons de survie en milieu hostile, matériels de terrassement, abris préfabriqués, moyens de communications, provisions impérissables, kits médicaux d’urgence… Un an seulement après que ne débute l’opération de colonisation massive Essaims des Étoiles, je décrochai le contrat d’exclusivité sur les milliers de vaisseaux-arches du programme.
Oui, ça continue à me revenir. Je déroule la pelote, tant pis si mon tournis vire au vertige. J’avais tout préparé du haut de mes seize ans. Féru d’histoire et de cultures anciennes, l’idée m’en est venue en me documentant sur la ruée vers l’or : à l’époque, seuls les vendeurs de pelles sont devenus riches. Pour pallier au manque de sérieux supposé de mon jeune âge, j’ai embauché un acteur en fin de carrière, méconnu mais doué. Il endossait le rôle du P.D.G. de LNS pendant que je menais les négociations en coulisses. En deux décennies, je suis devenu l’homme le plus riche depuis Crésus. Autant dire que m’offrir les services de ChArON était largement dans mes moyens. J’ai même sûrement racheté l’entreprise — je ne m’en souviens plus… enfin, pas encore. J’avais besoin de leur expertise dans la cryogénisation des corps, parce que…
Parce que…
Et merde !
La frustration me fait oublier que je suis prisonnier de la glace. Entravé, mon geste d’humeur me cisaille de douleur. J’entends d’inquiétants craquements au niveau des épaules et du dos. La neige carbonique qui se sublime, ou bien mes chairs qui se déchirent ?
« Détendez-vous, monsieur Lorghian. Le processus de réveil cryosomnique entre dans sa dernière phase, la plus sensitive pour vous. A ce stade, tous les indicateurs sont nominaux. »
Le coup des indicateurs nominaux ne me tranquillise guère : tous les colons spatiaux y ont eu droit au décollage, parfois juste avant que leur vaisseau n’explose. En dépit de mes réserves, la paroi transparente du caisson se soulève sans incident. Ma vision est encore un peu trouble, impossible de voir clairement où je suis. En attendant, l’air extérieur tempéré et sans odeur dissipe mon malaise. Je vais mieux, mais je me sens toujours raide.
Conscient d’être en position de faiblesse, j’ai besoin d’en apprendre le plus possible sur ma situation. Or l’expérience montre que moins les questions sont précises, plus on en apprend.
« Je suis où ? Et qui êtes-vous ?
– Mon nom est Athias 20-100, monsieur Lorghian. J’ai l’honneur de superviser votre réveil. Vous vous trouvez actuellement dans le meilleur hôpital de la planète. »
Typiquement le genre de réponse qui me gonfle : en tous points exacte, mais parfaitement inutile. J’ai subi ça des centaines de fois de la part des chefs de projets, pendant les réunions d’avancement. Si je ne m’énerve pas de suite, c’est par expérience : braquer les spécialistes est contre-productif.
« Comment connaissez-vous mon nom ?
– Qui ne vous connaît pas ?
– Ne me dites pas que Men’s Health a fait une couverture de moi à poil dans mon caisson.
– Il ne semble pas, finit par lâcher mon interlocuteur après une pause étrangement longue. Souhaitez-vous que les archives soient consultées pour vous en assurer ?
– Les archives ? Quelles archives ? Je suis dans ce caisson depuis combien de temps ?
– S’il n’est pas possible de répondre avec exactitude à cette question, sachez que cet établissement se mobilise pour assurer son fonctionnement depuis bientôt trois siècles. »
Trois cents ans que je suis en sursis, servant de prétexte au développement de nouvelles technologies… Est-ce la raison de ma popularité ?
« Pourquoi me réveiller maintenant ?
– La machine qui vous maintient en stase est à ce point ancienne que son entretien n’est désormais plus envisageable. Le risque devenait trop grand de vous perdre, il était nécessaire d’intervenir. L’idéal aurait été de vous consulter au préalable, mais vous comprendrez que cela était impossible.
– Sans rire… »
Je n’arrive toujours pas à voir le type avec qui je discute. Ma vision devient progressivement plus nette, mais je ne peux pas encore tourner la tête vers lui. Tout ce que je vois, c’est un plafond gris-bleu. Ou alors un ciel plombé d’automne. Non : pas de bruits d’extérieur, pas le moindre courant d’air… je suis bien dans une pièce fermée.
« Les chercheurs de LNS vous ont filé un coup de main, j’espère ? »
Encore une hésitation de la part d’Athias. Elle me laisse l’occasion d’un nouveau souvenir. Une fois que LNS eut atteint sa masse critique, je l’ai confiée à un groupe d’administrateurs. Leur seule consigne : injecter la totalité de mes dividendes dans la pérennisation de mon contrat avec ChArON. Pour m’assurer de leur collaboration docile, je leur ai accordé l’exclusivité sur l’exploitation de mes nombreux brevets jusqu’à mon décès clinique ; le jour de ma mort, ils tombent dans le domaine public. Vu que trois cents ans se sont écoulés, ma stratégie s’est montrée vraiment efficace. Trois siècles… Le chiffre rebondit à l’intérieur de ma tête comme un frelon pris dans un piège à guêpes.
« Malheureusement votre société a déposé son bilan cinq cent soixante-dix-huit ans après sa date de création, monsieur Lorghian. »
Ainsi donc, ma création a perduré au moins aussi longtemps que l’Empire romain avant de disparaître. Un frisson me parcourt l’échine, à mi-chemin entre effroi et fierté.
« Vraiment ? Je n’imaginais pas qu’elle survivrait aussi longtemps après Essaim des Étoiles. »
Ce nom appelle un nouveau souvenir, accompagné d’une aiguille de douleur qui s’enfonce dans mon crâne. J’ai l’impression que retrouver la mémoire va être douloureux. Tant pis, je saurai gérer. Je regrette simplement qu’elle revienne par petites touches, et pas en une seule fois histoire d’en finir une bonne fois pour toute. Dommage, je suis plutôt du genre à arracher le sparadrap d’un grand coup sec.
Essaims des Etoiles, c’était cent-quatre-vingt-quatorze vaisseaux-arches qui se sont élancés en même temps. En soi, c’était une aberration technologique et financière. Le mieux aurait été de les envoyer par salves d’une dizaine, en étalant les lancements sur plusieurs années. C’était toutefois inacceptable, politiquement et humainement. La colonisation était un projet mondial, un rêve partagé par tous les peuples et toutes les cultures. Ce projet était la suite logique de la conquête de Mars, une aventure collective contrairement à la course vers la Lune. Impossible de ne pas s’aligner tous ensemble au point de départ.
Les Essaims avaient été assemblés en orbite, puis il avait fallu trois ans pour y transférer les quarante mille colons par vaisseau. Des types courageux et un peu inconscients, chargés de préparer la future grande migration humaine en défrichant les exo-planètes. Certaines étaient encore en cours de terraformation au moment du départ ; les colons faisaient le pari que le processus serait achevé à leur arrivée. Oui, il aurait été autrement plus simple d’y aller par vagues successives, mais c’eût été se priver d’un spectacle absolument grandiose. Observables partout depuis le globe terrestre, les traînées argentées des propulseurs s’élevaient ensemble dans le ciel, si vives qu’elles étaient visibles même en plein jour. Un feu d’artifice célébrant le génie de l’humanité. Une pelote de fils d’Ariane déroulée vers autant de mondes nouveaux. Devant pareille féerie, certains ont évoqué l’envol d’anges ; ce fut la première et unique fois qu’une référence religieuse ne m’a pas mis hors de moi…
« Si vous m’avez réveillé, c’est parce que je suis ruiné j’imagine.
– Le manque d’argent n’est pas à l’origine de votre réveil, monsieur Lorghian. Toute notion de fiducie est devenue obsolète depuis que la société garantit à tous un accès libre et gratuit aux besoins physiologiques. »
Un fou rire nerveux m’échappe, moment de grâce qui tourne à la quinte de toux. Incapable de contrôler mes spasmes, je me retrouve plié en deux, achevant malgré moi de m’arracher à mon carcan gelé dans un fracas de brise-glace. J’en profite pour basculer les jambes dans le vide et ainsi me forcer à m’asseoir. Aussitôt un violent étourdissement me cisaille les tempes. Mon oreille interne se prend pour les aiguilles d’une montre, figées il y a un demi-millénaire et qui galopent autour du cadran pour rattraper le temps perdu. J’ai l’impression que mon cerveau fait des cercles sur lui-même à une vitesse folle. Au début je redoute de tapisser les murs avec ma propre cervelle ; une poignée de secondes plus tard, je regrette que ce ne soit pas encore le cas. Puis tout se stabilise brutalement, plus aucun étourdissement. Et je peux enfin voir mon interlocuteur.
La cinquantaine dynamique. Mâchoire volontaire, impeccablement rasée. Regard pénétrant souligné de pattes d’oies gracieuses. Cheveux noirs aux tempes grisonnantes. Silhouette sportive savamment entretenue qui culmine à deux mètres, facile. Un mélange quasi alchimique de charisme, de puissance et de maturité. L’ensemble m’évoque un homme politique américain. Un type qui compte.
Désorienté par mes sens à peine sortis de leur vrille, j’ai besoin d’un peu de temps pour remarquer les détails. Or ils ne collent pas : la morphologie semble africaine, la forme du visage occidentale, les yeux en amande asiatiques, la carnation basanée moyen-orientale, la chevelure sombre et fournie sud-américaine… Un métissage réussi qui démontre mieux que n’importe quelle théorie combien le brassage génétique est profitable à l’espèce humaine.
« N’hésitez pas à vous mettre debout, monsieur Lorghian. Cela fait plusieurs jours que votre réveil est en cours de préparation, notamment pour combattre l’atrophie musculaire. Votre corps est à présent opérationnel, le reste dépend de vous. »
Quelques mouvements du cou le confirment, mon violent vertige est définitivement passé. Je reste malgré tout moins confiant qu’Athias, je ne me sens pas capable de me lever si tôt. Pour ne rien laisser paraître, je temporise en regardant ostensiblement autour de moi. J’ai vite fait le tour des lieux : hormis le caisson cryosomnique sur lequel je suis encore assis, il n’y a qu’un lit. Rien d’autre. Pas le moindre meuble, aucun élément décoratif, pas même une porte ou une fenêtre pour percer les parois. Composées de plaques métalliques de formes et tailles variées qui pourtant s’emboîtent à la perfection, elles évoquent les murs cyclopéens d’une cité aztèque.
Je me lève subitement, tel un parachutiste qui saute sur commande pour court-circuiter sa peur. Sous mes pieds, le sol n’est ni froid, ni chaud. Aseptisé, comme l’air ambiant. A peine deux oscillations et je trouve mon équilibre aussi naturellement que si ma dernière balade datait de la veille. Surpris mais rassuré, le crâne libéré du vertige qui m’étreignait, c’est l’esprit clair que je m’adresse à mon hôte.
« Vous ne plaisantiez pas, avec votre histoire de corps opérationnel. Pour le détenteur du record mondial de la sieste la plus longue, je suis étonnamment en forme. Il faudra juste faire quelque chose pour la raideur musculaire.
– Il est prévu d’y travailler, monsieur Lorghian.
– Parfait. Et appelez-moi Eric, vos “monsieur” me donnent l’impression d’être un vieillard.
– Techniquement, vous êtes le doyen de cette planète, sinon de l’humanité, Eric. »
Le futur n’a pas enterré les pince-sans-rire, tant mieux. Athias ne m’en est pas sympathique pour autant. J’ai la nette impression qu’il me cache quelque chose…
Maintenant que je suis debout, je peux constater que le tube cryogénique est surmonté d’une batterie d’affichages holographiques. La moindre parcelle de mon corps y est détaillée à grands renforts d’animations. Les trous dans ma mémoire m’empêchent d’être catégorique, mais cet attirail high-tech n’était pas là au moment de mon endormissement. Il tranche trop avec la vétusté du caisson, un antique cercueil en céramique fissurée. Je suis prêt à parier que les cachotteries d’Athias concernent les événements advenus pendant ma sieste cryogénique. Vu combien il se montre évasif, je crains le pire.
J’ai besoin de réponses, mais bousculer le médecin serait une erreur. Athias n’est pas n’importe qui, clairement. En plus, sauf à considérer qu’il m’a menti sur le sort de LNS, je suis ruiné. Or une grande part de mon pouvoir tient — tenait — à ma fortune. Et pour couronner le tout, je suis entièrement nu. J’ai triomphé de pourparlers plus mal engagés, mais se retrouver les bijoux à l’air ne vous aide pas à en imposer.
Sur le lit, j’avise une pile de vêtements et une paire de bottes qui me font penser à des sabots. Je m’approche du lit pour m’habiller. Bien que pieds nus, je ne sens aucune jointure entre les plaques métalliques qui composent aussi bien les murs que le sol et le plafond. Je compte me vêtir rapidement, sauf que j’ignore comment enfiler cette maudite combinaison d’un seul tenant. Pour m’accorder davantage de temps, je lance :
« Vincent, c’est votre prénom ou votre nom de famille ?
– Vous pouvez m’appeler Athias.
– D’accord, Athias. Bon, maintenant que je suis habillé, c’est quoi la suite ?
– A vrai dire, rien de formel n’est défini à ce jour. Le plus logique serait de vous familiariser avec les us et coutumes actuels, afin de déterminer quelle place vous désirez occuper plus tard dans notre société.
– Président, j’ai le droit ? »
Athias a de nouveau une brève absence. J’ai cette fois l’occasion de constater qu’elle s’accompagne d’un regard vide, signe qu’il consulte de vieux souvenirs. Il a de la chance d’en avoir, lui…
« Cela sera difficile dans le sens où il n’existe pas de préséance au niveau de la citoyenneté : toute décision à portée collective fait l’objet d’une consultation directe.
– Un référendum, vous voulez dire ? Plus d’argent, plus de politiciens… on est dans le monde de Mickey ou quoi ? » Le regard d’Athias se perd quelque part au-dessus de mon épaule. « Qu’est-ce que vous faites ? C’est une manie chez vous de réfléchir aussi longtemps avant de répondre ?
– Pardonnez-moi, je consultais la noosphère.
– La quoi ?
– La noosphère, le réseau global d’informations.
– Ouais, en gros vous avez Internet en Wi-Fi. Je veux une connexion, moi aussi.
– Il n’est techniquement pas possible de…
– Bon maintenant ça suffit ! J’en ai marre d’être baladé, je veux voir un responsable.
– Je suis le plus haut responsable ici.
– Dans cet hôpital peut-être, mais je veux voir le vrai chef, celui qui est au sommet de la pyramide. »
Nouvelle pause de la part d’Athias. Cette fois ce n’est pas pour consulter la machin-sphère. Non, il calcule comment réagir à mon changement de ton. La conversation va enfin devenir intéressante.
« Votre état ne permet pas de…
– Foutaises !, je le coupe. Mon corps est opérationnel, c’est vous qui l’avez dit. A moins que vous ne me cachiez quelque chose, comme par exemple la raison exacte de mon réveil.
– Cette décision n’a pas été de mon seul ressort. Votre éveil a été soumis à référendum, pour reprendre vos termes. »
Je comprends désormais d’où vient ma popularité. Niveau audience, j’ai dû faire largement mieux que la diffusion des premiers pas sur Mars.
« C’est pourtant vous qui supervisez l’opération, non ?
– Certes. Pour autant, je ne peux malheureusement… »
Je le coupe une seconde fois. Vu qu’il n’a pas compris dès la première, j’accompagne l’interruption d’un geste agacé de la main.
« C’est justement pour ça que je veux voir celui qui peut. Je ne demande pas votre autorisation, je vous informe. Si mon sort vous inquiète à ce point, alors accompagnez-moi. »
Au regard mordant d’Athias, je réalise avoir poussé le bouchon un peu loin. Je ne suis pas en plein conseil d’administration devant des subalternes domptés, il faut me montrer prudent en attendant de trouver mes repères. Mon coup de sang calculé a néanmoins été profitable : je sais désormais qu’Athias attend quelque chose de moi. Je le lis dans son attitude. J’ignore encore quoi, mais je ne suis pas du genre à laisser passer l’occasion.
« A votre guise », Athias finit par céder. Ses mots restent courtois, mais son ton est cassant. « Laissez-moi vous conduire à Maruzia.
– C’est lui qui dirige le pays ?
– Maruzia est une femme. Elle ne bénéficie d’aucun pouvoir politique. Je vous l’ai dit, dans notre société personne n’en dispose. Elle jouit en revanche d’une autorité morale dont la portée est planétaire. »
Je devrais continuer à interroger Athias sur cette Maruzia. La façon dont on présente quelqu’un, surtout une personnalité publique, en révèle souvent beaucoup sur ses failles et faiblesses. Pourtant mon flair me dissuade de le faire, pas avant d’avoir retrouvé la mémoire. Sans plus tergiverser, j’opine du chef. Va pour cette Maruzia.
Le médecin s’approche d’un mur et active la plus petite des plaques de style pseudo-aztèque. Deux pans s’écartent, leurs bords crénelés coulissant en silence. Je sors sans attendre d’y avoir été invité.

(à suivre)

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

3 commentaires à propos de “Palimpseste d’Arnaud Dollen – I”

  1. Rétroliens : Palimpseste d’Arnaud Dollen – III | Librairie Bédéciné

  2. Rétroliens : Palimpseste d’Arnaud Dollen – IV | Librairie Bédéciné

  3. Rétroliens : Gilles Francescano nous offre la couverture de l’anthojolie numérique | Librairie Bédéciné

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