La Quête de Maître Gonzague de Paul Beorn


 Le petit Paul Couaillier s’enthousiasme très jeune pour le domaine littéraire et son engouement l’amène tout naturellement à tirer la langue pour coucher ses propres écrits et contribuer ainsi à l’enrichissement du territoire
des belles-lettres.
Subjugué par le personnage de Beorn dans Bilbo le Hobbit, il choisira son nom pour pseudonyme (est-ce à dire qu’une facette ursidée de sa psyché se révélerait ainsi ?…)

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Tu parles ! Le Grand et Gros Vilain Ours que voilà ! Petit Ours Brun, oui, je préfère le surnommer.

Or donc, après avoir commis des nouvelles en littérature générale, SF et Fantasy notre  Paul Beorn semble s’accrocher à ce dernier genre avec un beau diptyque.La Pucelle de Diable-Vert et ensuite une fantasy historique, Les Derniers Parfaits , toujours chez Mnémos, qui titille notre oreille du sud-ouest. Mais les premiers «Catharis» décrits sont bien loin de la perception bienveillante que nous pouvons en avoir. De quoi, de quoi ? On vilipende notre tradition spirituelle occitane ? Meuh non ! Comme tout système celui-ci peut avoir ses effets et ses éléments pervers.

Et depuis, Môssieur a co-écrit  14 – 14 avec  Silène Edgar chez Castelmore,  un roman épistolaire pour djeunes d’une correspondance entre deux ados, Adrien et Hadrien, séparés par 100 ans d’histoire, et qui a reçu le Prix Gulli du Roman 2014 (Photo à la une). Et aussi, Le jour où…, toujours chez Castelmore, et donc toujours pour les djeunes, mais quelque peu secouant puisqu’il s’agit d’une aventure fantastique marchant dans les pas de Sa Majesté des Mouches.

La Biblio de Paul sur nooSFère

Le blog du Paul : leblogdetontonbeorn.hautetfort.com

Merci pour cette coquine galéjade chevaleresque inédite Petit Ours Brun !

La Quête de Maître Gonzague

     Il était une fois un petit village, du nom de Gazouillis-les-trois-châteaux situé entre la baronnie de Grosse-Brute et celle de Barbares-les-oies. On y menait une petite routine douillette, ponctuée ça et là d’inondations, d’épidémies de peste et de passage de soldats hirsutes armés jusqu’aux dents, ce qui permettait à tout un chacun de rompre la monotonie de la vie au grand air.
Hélas ! Il advint qu’un jour, un abominable monstre aux grandes ailes noires, large comme une montagne, s’abattit sur la demeure du banneret local et, en grand tapage, réclama toutes les jeunes vierges de la place. Un dragon, à ce qu’il semblait.
« Quelle guigne » fit le châtelain en contemplant son donjon ruiné.
Après avoir jugé de la taille et de la férocité de la bête, il décida, en accord avec les habitants, de ne pas la contrarier et d’accéder à sa requête. Après tout, après la dernière visite de courtoisie des soldats avinés de Grosse-Brute, il ne restait plus beaucoup de jeunes vierges dans le village. Le monstre accueillit ces dames avec un grognement lubrique et les enferma aussitôt dans une caverne qu’il avait lui-même creusée de ses griffes sous le castel démoli.
Il ne fallut que quelques jours à la nouvelle pour se répandre dans toute la contrée, et de valeureux messires firent assaut de courage pour arracher ses captives à la créature. Mais ni Roland-le-Pétulant, ni Tristan-le-Coureur, ni même Michel-le-Grand-Costaud ne surent en venir à bout – en fait, ils finirent tous en gigots dans le gosier de la bête. Et dès lors, tous les courageux aventuriers du comté, lorsque l’on évoquait devant eux le « dragon des pucelles », firent mine de ne pas entendre et de regarder ailleurs.
L’on fit appel au prince et à ses marquis… mais la gueuse, la chasse et toutes les autres grandes affaires du royaume tenaient ces gens trop occupés.

Or un beau jour, sur la route menant au village, se présenta un étranger. L’homme présentait tous les attributs du chevalier, c’est-à-dire une armure, une épée, et une sorte de cheval. Certes, la monture était grisâtre et elle avait des oreilles pointues, mais personne n’était d’humeur à faire le difficile, à Gazouillis.
La Marie-Jeanne, une fille joliment tournée – et qui de ce fait n’avait plus tout à fait son hymen – se porta aussitôt à sa rencontre, aussitôt qu’il se fut installé à l’auberge devant un bon feu, eut ôté ses chaussettes mouillées et poussé un grand soupir d’aise.
— Par pitié messire, fit-elle en se jetant à ses pieds, vous êtes notre seul espoir, un monstre retient prisonnière toutes nos vierges, nous avons besoin d’un chevalier brave et fort pour l’aller défier. Messire : pour nous, pour nos dames, pourfendez la bête immonde !
Il ne lui jeta même pas regard, il était bien trop occupé à se dégourdir les orteils.
— Un dragon ? Pff, c’est un travail de Prince charmant, ça… Petit ! cria-t-il au commis. Un baquet d’eau chaude, veux-tu ! Ce qu’il fait humide dans cette auberge. Je sens que je vais encore attraper un froid de poitrine.
— Il… Il risque de dévorer tous les habitants de la région, c’est un monstre énorme et sanguinaire et…
— Moui… Alors dans ce cas, c’est un travail de héros. Allez voir Saint-Georges de ma part. Il a déjà fait mille fois ce genre de choses.
— Et vous, n’êtes-vous pas un héros ?
— Ah non petiote ! Je suis un chevalier errant. Ne confondons pas.
— Mais alors… si vous ne protégez pas les pauvres gens, que faites-vous donc ?
— Eh bien… c’est évident, non ? Il haussa les épaules : J’erre !
Mais quand il leva enfin les yeux sur elle, la stupeur lui fit une bouche ronde et des yeux en saillie. Tudieu de Tudieu, le joli morceau de gueuse que voilà ! pensa-t-il.
Il se releva, écrasant d’une main pressée la mèche de cheveux rebelle qui se coinçait toujours en haut du casque, se trémoussant d’un pied sur l’autre comme un étudiant de la grande Lutèce devant une fille de taverne.
C’était précisément dans l’espoir de séduire une jolie femme qu’il errait depuis si longtemps. C’était son but, son épopée, la quête noble qu’il s’était donnée. Au fief de ses frères et cousins, il n’avait réussi qu’à se faire passer pour un pitre auprès de toutes les dames.
Quant à elle, elle fut déçue : point de poitrail dénudé aux muscles saillants, point d’yeux bleus et fiers, point de… enfin, point de bourse pleine de piécettes, de broche à pierreries, de vêture somptueuse et cousue d’or. A la place de cela se tenait un vieux garçon maigrelet vêtu de hardes, poilu des pieds et sentant fort des pieds.
— Maître Gonzague, pour vous servir ! Vous parliez d’un dragon, je crois, mignonne…
— Il retient toutes les jeunes vierges du village… Et parmi elle ma petite sœur chérie !
— Votre sœurette est du lot ? Est-elle aussi bien tournée que vous ? Mais… ce dragon, parlez moi franchement, est-il vraiment féroce ?
La donzelle se gratta le menton, hésita un peu et fit d’une voix d’ange en levant les yeux au plafond :
— Oh, pas si gros qu’on le dit. De ses deux mains, elle traça un tout petit cercle dans le vide. Comme cela. Peu ou prou.
— Ah bon ?
— En deux coups d’épée, vous en aurez raison.

Le soir même, Maître Gonzague, poussé au train par une horde de mamans inquiètes et tiré en avant par la jolie Marie-Jeanne, se présenta devant la caverne de la bête. Il s’approcha en silence, mort de peur et tremblant comme une cloche. Sous les ruines du castel, un vaste trou s’enfonçait tout droit dans les entrailles de la terre. Les murs de terre y rougeoyaient faiblement.
— N’ayez crainte messire, je prierai pour vous !
Le malheureux jeta un regard implorant à la Marie-Jeanne, se donna un peu de courage en observant pieusement le rebondi de son décolleté et, prenant une grande inspiration, s’élança en avant, le plus silencieusement possible et sans oser respirer de crainte de troubler le sommeil du monstre.
« Par Dieu et tous les saints, dire que j’étais là, tranquillement devant un bon feu…  Maman ! Maman ! Prie pour ton fils chéri, il va en avoir rudement besoin… »
Il déboucha sur la grande salle à coucher du dragon : la bête se tenait lovée en rond comme un petit chaton. Sauf qu’il était gros comme une baleine.
« Juste une sorte de gros, gros chat. » marmonna-t-il pour se rassurer. « Minou minou minou. »
Hélas, tout tendu et nerveux qu’il était, il ne prit pas garde où il posait ses bottes, or le sol était couvert de petites lamelles de métal noircies. En poussant un sonore « Par les couilles du Diable ! » il s’étala de tout son long contre les débris hérissés de tranchants. « Ah ! Mais ce sont des pièces d’armures, et là, et là ! des os humains ! »
Les débris des brillantes cuirasses de Roland, Tristan et Michel avaient été recrachées là par la bête.
Un ronflement terrible se fit d’abord entendre, puis, jaillissant des naseaux du dragon, gros comme des canons, une fumée bouillante vint roussir les cheveux du chevalier. Il s’enfuit à toutes jambes, bien entendu, mais à la sortie, se retrouva face à faces avec douze gardes du châtelain, piques et arcs pointés vers lui, et décida, tout compte fait, de rester dans le boyau et d’y attendre sagement la venue du jour.

— Qui es-tu, misérable, toi qui oses troubler mon sommeil ? fit une voix si forte qu’elle fit trembler les parois de la caverne et tomber un peu de terre sur son casque dessanglé.
— Qui ? Quoi ? fit-il en se reculant le plus possible vers les piques. Euh… à mon avis, ce sont les gardes, là, dehors, qui ont fait du bruit.
Le cou du dragon s’étira lentement et la tête s’avança dans le boyau terreux, jusqu’à rencontrer la face rubiconde de notre héros, déjà tombé à genoux et implorant grâce.
— QUI ? rugit la voix terrible.
— Gon… Gonzague de Mortefesses, troisième du nom, cadet de mon cadet, célibataire, chevalier errant depuis l’enfance en quête d’une femme et… et très maigre, plein d’os piquants. »
— Tu es venu pour me défier, Gonzague de Mortefesses ? Où donc est ton épée ?
— Vous défier ? Moi ? Oh, non mais alors pas du tout. Diantre quel malentendu ! Ces gens du village ne sont guère accueillants alors je me suis dit que, entre étrangers, pour une nuit, on pourrait se tenir compagnie. Qu’en pensez-vous ?
Le dragon l’observa les yeux mi-clos et soupira bruyamment, ce qui suffit à renverser en arrière le pauvre Gonzague de Mortefesses.
— C’est vrai. Personne ne m’aime. Et je m’ennuie. Je m’ennuie terriblement.
— Ah, vous voyez ! fit Gonzague en tirant sur le col de son gorgerin de fer qui lui cerclait le cou, soulagé de n’être pas déjà rôti.
— Toi et moi, nous allons jouer au jeu des énigmes, fit le dragon : si je gagne, je te mange.
— D’accord. Et si moi, je gagne ?
— Eh bien, je suppose que nous devrons rejouer.
— Gloups, répondit Gonzague.
— Je commence.
Le dragon ferma un instant les yeux, se frotta les narines contre un roc en saillie qui pointait au plafond et sourit soudain.
— J’y suis ! Quel animal se déplace le matin sur quatre pattes, le midi sur deux pattes, et le soir sur trois ? Je me souviens de l’énigme, mais jamais de la réponse…
Il fixa de nouveau le chevalier, content de lui, et gloussa un peu, ce qui brûla l’extrémité des doigts de notre héros.
— Facile ! répondit ce dernier en soufflant sur ses ongles. C’est le poivrot ! Le matin, il rampe sur les mains, le midi, il doit se lever pour aller chercher sa bouteille, et le soir, il est sur trois pattes : les deux du midi et le comptoir de l’aubergiste.
Le dragon sembla réfléchir.
— Va pour le poivrot. A toi, à présent.
— Je change l’eau en vin, je fais des petits pains, je suis au centre de la table au milieu des convives, et… et en cas de problème, je suis toujours le bouc émissaire. Qui suis-je ?
— Facile, répondit le dragon : l’aubergiste.
— Parbleu, celle-là était connue.
— Aaaaaah, fit la bête en bâillant. Ce jeu m’agace.
— Que puis-je faire pour votre service ? Voudriez-vous…
Maître Gonzague s’apprêta à dire « un bon dîner » mais se ravisa finalement.
— … un massage du cou ? Une chanson paillarde ?
— Va pour une chanson paillarde !
Le chevalier se mit alors à chanter d’une voix aiguë :

« Il pleut, il pleut, des pu-celles »
« Et je suis le baron, »
« Il en pleut tant, et telles-euh »
« Que je n’sais plus où donner du bâton »

— Assez ! ta chanson ne me plaît pas ! Ces maudites humaines ! Aguicheuses… Corruptrices…
— Ah oui, les ribaudes, elles savent vous enflammer les sens, et après cela, vous envoient au danger, répondit le malheureux qui en savait quelque chose. Ma pauvre maman me disait toujours…
— J’ai six vierges avec moi et je n’ai pas pu une seule fois… Tu sais… Arriver à mes fins. Pas avec une seule d’entre elles.
— Ah, c’est donc cela !
— Comment voulez-vous que je m’y prenne, mon viril membre est long comme deux hallebardes, et épais comme le tronc d’un chêne !
— Diantre, en effet, voilà qui ne facilite pas les choses.
— J’ai voulu taquiner la première de ces friponnes, le premier soir, et voilà que je l’écrase contre un roc, grand maladroit que je suis. Et toutes les autres qui se mettent à hurler comme des folles !
— Que voulez-vous, les femmes sont ainsi faites : un rien les effarouche. Mais dites-moi, n’avez-vous point de femelles dragonnes à honorer, dans vos aires lointaines ? Pourquoi vous intéresser à de vulgaires humaines minuscules ?
— Ah, c’est là ma faiblesse. Ce penchant honteux pour les humaines me vient de la petite enfance. J’avais été recueilli par une jolie donzelle, fille de haute noblesse et pétrie d’amour pour les bêtes.
Une énorme larme gonfla au coin de son œil rouge et roula bruyamment au sol où elle forma une petite mare bouillonnante.
— Ne dites rien, l’interrompit Maître Gonzague : je devine la suite. Cette mère d’adoption, vous l’avez prise pour modèle de femme, et à présent, seules les humaines peuvent exciter votre désir charnel.
— Oh, ce n’est pas tout.
— Ne me dites pas que…
— Par malheur, si ! La demoiselle, croyant bien faire et cédant à ses transports, s’unit à moi dans son alcôve alors que j’étais encore tout jeunot. J’étais, pour tout dire, à peine de la taille d’un petit lion en cette époque bénie, et pouvais l’étreindre sans l’écraser sous mon poids.
— Ah, la cruelle donzelle ! Corrompre ainsi un pauvre enfant, incapable de distinguer le bien du mal…
Le dragon, cette fois, pleurait à chaudes larmes, à très, très, chaudes larmes. Le chevalier manqua de peu d’avoir les pieds dissous par le bouillant liquide, qui creusa dans la terre une fosse putride et remplie de vapeurs glauques.
—Hélas ! Ma taille n’a cessé de croître depuis lors et il me fut bien vite impossible de rejouer ces scènes où j’étais encore dragonnet…
Et la bête, langoureuse, se frotta la joue contre la boue des parois comme s’il s’agissait du giron de sa belle ; il en résulta un tremblement de terre qui faillit bien engloutir d’un seul coup le chevalier et toutes ces dames.
— Mais pourquoi des vierges ? Pourquoi n’avoir pas enlevé au bord du chemin la première femme qui se présentait sous vos yeux ?
Gonzague, s’il avait été un dragon de cent pieds de haut, n’aurait pas hésité à enlever la jolie Marie-Jeanne. Vierge ou non, il s’en moquait bien.
— Je ne saurais passer là où un humain a fauté avant moi, répondit le dragon d’un ton blessé. Je flaire la virginité d’une femme, vois-tu, leur parfum me prend aux narines et me met le feu à la tête ; les odeurs des souillées, en revanche, me déplaisent et m’écœurent.
Maître Gonzague comprenait ce pauvre diable : ils partageaient tous deux la même quête de l’amour et ne pourraient jamais y réussir.
— Bon, fit-il avec un sourire rusé. Je ne vois plus qu’un seul moyen d’oublier les bras blancs de ces dames…
Le dragon redressa la tête, se cognant à la voûte, et le regarda de ses yeux ronds, larges comme des boucliers.
— Un moyen d’oublier, dis-tu ?
— Il existe une boisson prodigieuse qui possède le pouvoir de faire disparaître chez une âme torturée toutes ses peines et chagrins.
— Par quel prodige ?
— La magie en est mystérieuse, et divins sont ses délices. Vous en serez, messire dragon, transporté de plaisir.
— Et comment s’appelle cette merveille ?
— Certains la nomme « vinasse » d’autre « bibine » ou encore « piquette », avez-vous jamais entendu ces doux noms ?

Notre héros se hâta jusqu’à l’autre bout de la caverne et réclama tout le vin des auberges ; l’on en fit monter des barriques et tonneaux de cent gallons et plus, et notre héros les fit ouvrir et verser directement dans la gueule béante du monstre, où tout un océan de ce nectar disparut en tourbillons furieux.
Bientôt le regard du dragon se fit flou et vacillant ; sous les yeux de Gonzague, qui observait anxieusement les effets de l’alcool sur son corps immense, il se mit à roter des nuages de flammes, à chantonner « la pluie des pucelles » et à ricaner bêtement à ses propres plaisanteries, qui n’avaient pourtant plus guère de sens.
Par bonheur, le dragon tenait mal sa vinasse et ne tarda pas à ronfler comme une forge, faisant trembler la colline à chaque soupir. Alors, Maître Gonzague se faufila jusqu’à son antre suffocante. Là, tout au fond, dans un petit nid douillet taillé avec amour dans la roche, la bête avait logé ses vierges dans des draps fins réclamés aux villageois du dehors. Les jeunes filles épouvantées se jetèrent aux pieds de ce héros et certaines même lui baisèrent les mains – ce qui lui mit le baume au cœur, bien sûr, et aussi à une autre partie moins noble de son corps de preux.
— Mesdames, je suis venu vous délivrer de l’horrible monstre.
— Chevalier ! Vous êtes notre héros ! dit la sœur de Marie-Jeanne.
La damoiselle, point trop laideronne, le regardait avec de tels yeux enamourés qu’il s’enhardit un peu :
— Hélas, il n’est qu’endormi, et nous devrons passer devant ses naseaux pour nous enfuir tant qu’il est temps, or, il me faut vous révéler une impérieuse vérité au sujet de ce démon…
— Dites-nous, héros, que devons nous faire, comment pouvons nous vous aider ?
— C’est-à-dire que… Voyez-vous… Il sent l’odeur des pucelles. Je crains fort que si vous veniez à passer trop près de ses naseaux, il ne soit tiré de ses bienheureux songes inspirés par le vin…
— Par Dieu, mais que faire, alors ?
— Eh bien, euh…hem… Il baissa les yeux et se gratta la joue. Je ne vois qu’une seule solution. Et vous avez de la chance : je me sens plein de vigueur et prêt à secourir chacune d’entre vous.

Ce que lui répondirent ces dames ne fut pas dit dans les chansons. Toutefois, l’on peut imaginer sans peine, à sa mine renfrognée en sortant du boyau et à ses deux mains plaquées douloureusement sur ses parties, que cette réponse ne fut pas celle qu’il escomptait. Et aussi que le dragon, finalement, était trop gavé de mauvais vin pour déceler à leur passage le parfum des pucelles.

Dans la nuit, chacune de ses filles fut hâtivement mariée à un gaillard du village, et lorsque le dragon s’éveilla le lendemain, il fut de bien méchante humeur. Il croqua une douzaine de gardes, écrasa une ou deux masures de sa queue, puis décida de quitter ces lieux dépourvus de toute vierge et de s’établir au château de Grosse Brute, dont les soldats, depuis lors, ne vinrent plus honorer les habitants de Gazouillis de leurs visites amicales.
Quant au chevalier Gonzague, à ce que l’on prétend, il errerait encore à ce jour, toujours en quête d’une demoiselle à câliner.

 

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

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