La Saveur du sang de Morgane Caussarieu

 Ah, notre vampirounette Morgane Caussarieu n’est pas une tendre dans ses écrits (quoi que…). Voilà une Damoiselle qui apporte une vigueur salutaire dans notre fantastique contemporain. Ayant tété du vampire depuis ses huit ans à la mamelle d’Anne Rice dans Entretien avec un vampire elle dénote depuis une fascination certaine pour cette figure emblématique du fantastique.

Morgane photo Nicolas Théry-Minardi
Photo Nicolas Théry-Minardi

Son premier roman Dans les veines est un magnifique pavé dans la mare d’une certaine bit-lit lénifiante. Violent, dérangeant, volontiers gore et empreint d’une amoralité évoquant Poppy Z. Brite, ce roman affiche clairement ce qui va devenir la « marque de fabrique » de Morgane, « les gentils vampires ça n’existe pas ».

 Le teaser de Dans les veines, réalisé par ses soins :

Celui de Je suis ton ombre :

Morgane a ici donné une suite à son premier roman, centrée sur l’enfance, moins gore mais tout aussi jouissive et sulfureuse, d’une grande maîtrise de style pour l’évocation de ses deux narrateurs.

M’ame Caussarieu peut aussi montrer sa grande connaissance de l’essence du mythe et de son évolution moderne. Lisez donc son essai  Vampires et bayoux chez Mnémos.

Entretien avec actuSF pour Vampires et bayoux  :

 morgane devant la maison d'Anne Rice photo Antoine Téchenet
Morgane bichant comme un pou devant la maison d’Anne Rice
Photo Antoine Téchenet

La biblio de la Dame Morgane sur nooSFère et sur son blog, Les gentils vampires ça n’existe pas

martin pr morgane
Vous aussi, vous pourrez arborer fièrement votre fanitude de la Caussarieu en affirmant que « Les gentils vampires ça n’existe pas » si vous allez butiner dans la boutique goodies de son blog.

 La Dame Morgane nous offre pour nos 20 bougies une nouvelle, dans l’esprit de Dans les veines, qui avait connu une publication confidentielle dans le n° 17 du fanzine Salamandre. Merci notre Ténébreuse !

La Saveur du Sang

     Le rond de la pleine lune était voilé d’un nuage rouge. L’homme s’engagea dans une ruelle peu avenante, les mains enfoncées dans les poches de sa veste. Il paraissait jeune, la peau pâle sous les réverbères et les cheveux luisant comme des plumes de corbeau.
Devant lui, un clodo était assis, seul, sans même un chien pour le défendre. La pellicule de crasse sur sa peau basanée et son odeur musquée indiquait qu’il ne s’était pas lavé depuis des mois. Il semblait néanmoins en bonne santé et bien nourri. Le jeune homme s’approcha de lui d’un pas tranquille. Le clodo somnolait à moitié, les jambes dissimulées sous une mince couverture grisâtre et tachée d’excréments. Deux cadavres de Amsterdam traînaient à ses côtés. Lorsque le jeune homme fut à un mètre de lui, le clodo ouvrit les yeux et ils se considérèrent pendant quelques instants.
« Quelques centimes pour manger ? » finit par demander l’homme avec un accent maghrébin très prononcé.
—  J’ai bien mieux pour toi… Deux cents euros si tu me rends un petit service… »
Il lui montra les quatre billets de cinquante euros qu’il avait dans sa poche. Le regard du clochard s’illumina de convoitise. Une odeur douceâtre de viande avariée flottait dans l’air.
«  À ton service. Même te sucer bite si tu veux. » Son visage se fendit sur un sourire sans dents. « Mais tu dois pas vouloir. Avec ce visage d’ange, tu peux trouver plus joli garçon que moi. »
Le jeune homme lui tendit une grosse seringue, dans un emballage plastique.
«  Elle est stérile, tu ne risques aucune maladie. »
Le clodo manipula la seringue avec suspicion.
« Tu veux quoi avec ça ? Tu veux qu’je prends de l’héroïne ? Pas prends de l’héroïne. Pas touche à cette saloperie !
—  Rien de tout cela, rassure-toi. Je désire juste… Un peu de ton sang.
—  Sang ?
— Deux seringues remplies pour être précis. Tu ne crains rien, il t’en restera assez pour survivre, le rassura le jeune homme.
« Docteur ?
—  Non, pas vraiment.
—  Marché noir ?
—  Non plus.
—  Malade alors ? Sida ? Tu es très maigre. Besoin du sang pour te soigner ?
—  On peut voir les choses comme cela…
—  Donne deux cents euros, j’veux bien te donner du sang.
—  Tu les auras si tu restes coopératif. »
Le jeune homme lui reprit la seringue des mains, la déballa, puis s’agenouilla au dessus du clochard. Il remonta les manches de sa chemise crasseuse et dévoila un avant bras puissant et bronzé, aux veines bombées. Le jeune homme saliva et ses dents tirèrent vers le bas. Non, il ne faut pas que tu craques maintenant, se réprimanda-t-il. Il dénoua sa ceinture et la noua autour du bras. Les veines saillirent davantage.
« Attention, ça risque de picoter » avertit-il avant de plonger l’aiguille au creux du coude d’un geste rapide. Il tira sur le piston et la seringue s’emplit d’une liqueur épaisse. La face burinée du mendiant se plissa de douleur. Lorsque le tube fut rempli, le jeune homme retira l’aiguille. Une petite goutte ronde se forma sur le trou dans la chair, et il dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas la lécher.
« Dépêche-toi faire la deuxième seringue ! Finis vite ! Deux cent euros. »
—  Il n’y a pas de deuxième seringue, nous allons utiliser la même. »
Le mendiant le regardait avec incompréhension. Le jeune homme plaça la pointe de la seringue dans sa bouche et appuya sur le piston. Une giclée de sang chaud se déversa onctueusement dans sa gorge, bénissant son palais et sa langue. Il suça et tira sur l’aiguille comme si c’était la tétine d’un biberon. C’était moins bon que le nectar pris directement à l’artère mais c’était le seul moyen qu’il avait trouvé pour contrôler efficacement son appétit. Pour épargner le clodo. La seringue fut bientôt vide.
« Encore ! » exigea-t-il d’un souffle passionné. Le menton du clochard tremblait.
«  Monstre !
— Encore, répéta le jeune homme, on a fait un marché. Deux seringues, deux cent euros. N’ai pas peur…»
—  Sheïtan, gueula l’homme, Sheïtan !
—  Comme tu voudras… »
Le jeune homme s’assit sur le clochard et lui immobilisa les bras dans l’étau implacable de ses jambes. Il défit patiemment chaque bouton du col de la chemise sale, exposant la peau tendre de la gorge. Le clodo se débattait sans succès, psalmodiant à voix basse une prière en arabe, les muscles du cou contractés et les veines saillantes.
« Tu ne me laisses pas le choix. » dit le vampire tristement. Et il planta la seringue dans la jugulaire. Le clodo cria, il lui plaqua une main sur la bouche. Ses paumes furent caressées par le souffle chaud. Lorsque le tube fut entièrement rouge, il en avala le contenu avec délice. Si bon. Tu peux bien te permettre de boire une troisième tournée, ses jours ne seront pas en danger. Il réintroduisit l’aiguille dans le trou et pompa. Le sang était si chaud. Le cou de l’homme sentait si bon. Le vampire laissa tomber la seringue et ne put s’empêcher de poser sa bouche sur la perle de sang qui coulait de la veine. Ne le mords pas. La peau du clochard était magnifiquement salée. Ce corps à sa merci l’excitait bien plus qu’il n’aurait voulu. Ne le mords pas ! Il laissa courir ses doigts sur le torse de l’homme, appréciant le tambour du cœur qui accélérait, accélérait… Il s’écarta violemment du clodo et le libéra de son étreinte.
« Tire-toi, souffla-t-il, la bave bouillonnant sur ses lèvres, tire-toi vite ! »
L’homme se leva en trébuchant, faiblard, et courut, aussi vite qu’il le pouvait, tombant par terre, se relevant. Chacun de ses mouvements dégageait des arômes irrésistibles. La peur, les palpitations affolées, la sueur, le sang… tout cela fit voler les belles résolutions du vampire. Il partit à la poursuite du clodo. Il aurait pu le rattraper instantanément, le tuer en quelques secondes. Il n’en fit rien. Il laissa durer la jouissance immédiate de la chasse, appréciant le bouquet d’adrénaline que sa proie semait derrière elle. Le pauvre diable n’avait aucune chance, il était déjà à lui sauf qu’il le savait pas encore.
Avant que sa victime n’atteigne une voie trop passante, le vampire le jeta à terre. Il fondit sur lui, lui plaqua la face contre le bitume, le chevauchant comme un bœuf rétif. Tout en savourant les tensions et les contractions dans chacun de ces muscles qui luttaient pour se débarrasser de lui, le vampire tordit les bras du clodo pour l’immobiliser complètement. Puis il serra, écrasa, s’entortilla autour de sa proie, appuyant sur sa cage thoracique pour gêner la respiration, jusqu’à ce que les soubresauts cessent et que cette viande juteuse se donne à lui. Le boucan déchaîné du cœur en dessous le rendait fou de désir. Il poussa la tête pour dégager la jugulaire pulsante de terreur et la déchira d’un adroit coup de mâchoire.
Le vampire se bâfra de sang gras et mousseux, avalant si vite qu’il avait à peine le temps de déguster. Mais il dégustait le viol de ses dents dans la chair. Il dégustait le cœur qui s’accélérait jusqu’au point fatidique, le clochard qui pleurait, qui tentait de le chasser avec des coups de tête et des convulsions maladroites. La mort mit cinq bonnes minutes à arriver.
Quand tout fut fini, le vampire s’arracha à sa victime, un filet écarlate pendouillant de son menton.
Ce n’était pas encore ce soir qu’il avait réussi à être l’être humain à la conscience tranquille qu’il aurait voulu devenir. Il s’éloigna au plus vite de la dépouille, honteux, comme un animal qui s’éloigne de ses propres excréments.

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

3 commentaires à propos de “La Saveur du sang de Morgane Caussarieu”

  1. Très bien :-). Il y a quelque chose de sensuel voire sexuel entre le vampire et sa proie…. très bien écrit…. l’inverse aurait été étonnant 😉

  2. Rétroliens : Nouvelle La saveur du sang | Les gentils vampires n'existent pas

  3. Rétroliens : Prix Bob Morane 2015 | Librairie Bédéciné

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