La Fête à Neuneu de Dominique Douay

 Pardonnerons-nous à Môssieur Dominique Douay de nous avoir lâchement abandonnés pendant plus de vingt ans ? Faut voir… Parce que, quand même, il était dans les années 70-80 une figure hautement représentative de la SF française. aux côtés de Jean-Pierre Andrevon, Philippe Curval, Michel Jeury. Une SF volontiers politique mais qui ne néglige pas le « sense of wonder » comme on dit, hein.
Alors, première nouvelle en 1973, Les Ides de Mars dans Fiction n°230, un premier Grand Prix de la Science-Fiction Française en 1975 pour sa nouvelle Thomas dans Fiction n°249, reprise dans son recueil Cinq solutions pour en finir et, considérée comme un classique du genre, dans deux anthologies de SF francophones (et qu’on peut actuellement retrouver en version numérique aux éditions de l’ Armada).

Domi 1979
Première rencontre de Môssieur Dominique en 1979 au cours de la Convention Nationale de Science-Fiction organisée à Toulouse
(ici avec Yves Frémion et Noé Gaillard).
Un auteur dont d’aucuns disent la majorité des écrits marquée par l’influence de Philip K. Dick, à travers les thèmes de la folie, de l’altération de la réalité ou de la manipulation du temps. Durant les années 1970/80, il publie une douzaine de romans et de recueils (aux éditions Denoël, Calmann-Lévy, J’ai Lu…) et de nombreuses nouvelles, dans des anthologies, dans les revues spécialisées (Fiction, Galaxies, Univers…) mais aussi dans la presse quotidienne (Libération ou Le Monde) et commet de nombreuses critiques, notamment pour Politique Hebdo et (À suivre).

Mais figurez-vous que le Dominique a d’autres cordes à son arc et que pris par ses activités syndicales, politiques (chef de cabinet au Ministère de la Communication pour Georges Fillioud, où ses petits kamarades ayant eu vent des ses activités littéraires parallèles autant que douteuses le surnommaient « le Martien » – attention ! humour !…) et professionnelles (Cour des Comptes de Lyon puis en Polynésie française et ensuite enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, formateur expert pour le programme PHARE-TACIS), monsieur s’était mis en jachère pour notre petit monde.

 Domi 1982 ministère de la communication
Le Martien en 1982 au Ministère de la Communication

Et… Alléluia ! Voilà que notre Dominique replonge dans sa martiennitude en 2008 en publiant Chambre d’hôte dans le n°7 du Fiction des Moutons électriques. Quatre autres nouvelles depuis dans Galaxies, dans l’anthologie de Marc Bailly, Destination Mars (Mars? Wouarf!) aux éditions du Riez.et dans le recueil
Utopiales 14 qui vient de paraître chez actusf.

Côté roman une réédition L’Impasse-temps, et un inédit Car les temps changent chez les Moutons électriques dans la collection Hélios.
Et il ne va pas s’arrêter là !

  Domi
Ah ! Le beau profil de la maturité que voilà !

La biblio du Domi sur nooSFère.

 Merci mon Grand pour cette auréole à l’humour aigre-doux apposée sur notre Mille-Feuilles anniversaire.

La fête à Neuneu

     Ça n’était ni mon anniversaire, ni Noël ni mon départ à la retraite, alors j’ai tout de suite compris : le paquet enrubanné que me tendait un Paco hilare au nom du service tout entier n’était destiné qu’à me ridiculiser. Mais un peu plus, un peu moins… Ici, tout le monde considère qu’on me paye à ne rien faire, juste reluquer des visages et des mains sur un écran toute la sainte journée et quand je me mêle de signaler quelque chose de pas normal – une vague ressemblance avec l’un des portraits qui tapissent ma cabine ou des mouvements oculaires un peu trop rapides, vous pouvez être sûr que l’intéressé ressortira dix minutes plus tard avec en prime les excuses du chef si, manque de bol, il excipe de relations haut placées. Est-ce de ma faute si pratiquement tous ceux qui se présentent au contrôle se rendent dans la Zeppo pour y travailler ? Même dans les autres ZP, nulle part en France vous ne trouverez une telle concentration de forces de police que dans la Zone Protégée de Paris-Ouest, ceci explique cela. Et puis bon, les Champs-Elysées et tout ça, est-ce que ça justifie des heures d’attente pour franchir le barrage si on n’a pas la chance d’être résident ? Ah oui, j’oubliais les touristes, les Russes ou les Chinois, qui viennent juste pour faire marcher le commerce : eux, on les amène directement de Charles-de-Gaulle aux boutiques du Faubourg Saint-Honoré sans passer par la case Contrôle.
Bref, les petites plaisanteries fines de mes collègues, j’en avais largement ma claque, mais je devais les supporter. Alors j’ai joué le jeu, j’ai arboré un sourire ému.
– Tu te trompes, ai-je tout de même murmuré à l’oreille de Paco. La fête à Neuneu, c’est pas aujourd’hui.
Dans le paquet, il y avait un drôle de coussin rose, rond avec un large trou circulaire au milieu. Tout le monde s’est esclaffé, sauf moi bien sûr.
– Un coussin spécial hémorroïdes, a bafouillé Paco en hoquetant de plaisir. On t’a vu te trémousser sur ton siège, alors on s’est dit…
J’ai remercié sans relever le sarcasme, ça les a calmés ; et puis à ce moment justement leurs collègues restés en poste ont dû faire face à un afflux de candidats à une entrée en ZP et les ont appelés à la rescousse. J’ai remballé le coussin dans son papier à ramages. C’est vrai, rester assis des heures durant donne mal au cul, mais chez moi la douleur se situe plutôt au niveau du coccyx que des sphincters anaux. D’ailleurs, ça allait plutôt mieux. L’intermède du coussin m’avait permis de me lever et d’oublier les crampes.
Ensuite, ça a été l’affluence, la vraie. Au passage Saint-Honoré, il y a trois périodes quotidiennes de pointe : de six à neuf, aux alentours de midi et en fin d’après-midi. Celle de midi n’est pas la pire, mais on n’a quand même pas le temps de batifoler. A moi tout seul, je dois surveiller quatre portiques, ça signifie jongler avec les caméras pour examiner un maximum de voyageurs, sachant qu’avec la meilleure volonté du monde j’en laisserai passer un bon cinquième sans leur avoir accordé le moindre coup d’œil. Au besoin, si j’ai un doute, je peux déclencher l’alarme du portique à partir de ma cabine, du coup le quidam est obligé de repasser dessous.
La routine habituelle, et puis il y a eu cette fille. Type scandinave, pas du tout le genre à avoir été formée par Al Qaïda. Le look top model, c’est pour ça que je l’ai remarquée. Pour ça que j’ai vu ses yeux couleur Baltique se fixer droit sur ma caméra pourtant bien dissimulée dans un panneau publicitaire. Tout juste si elle ne m’a pas adressé un clin d’œil puis son regard s’est détourné ; elle affichait maintenant un sourire machinal. Zoom arrière, cadrage sur la main droite (la gauche était hors champ). Le poignet était souple, mais l’ongle du pouce grattait l’index à la hauteur de la première phalange, comme pour calmer une démangeaison. Classique. La nervosité arrive toujours à s’exprimer d’une façon ou d’une autre.
Mon doigt s’est figé à l’aplomb du bouton censé déclencher l’alarme du portique sous lequel elle s’engageait. Du coin de l’œil, j’ai vu Paco tourner la tête vers ma cabine, les sourcils froncés. La nervosité du top model, il ne pouvait pas l’avoir remarquée. S’il se demandait pourquoi ce foutu portique ne carillonnait pas, c’est que dans tous les points de passage pour la ZP, il y a des types dans mon genre qui à défaut de repérer les fouteurs de merde, permettent à leurs collègues de mater les filles les plus canon et là, en n’appuyant pas sur le bouton, je me rendais coupable d’un manque flagrant d’esprit d’équipe. Ça, j’ai pensé en reposant la main sur le pupitre, c’est pour le coussin anti hémorroïdes.
Un peu moins d’une heure plus tard, c’était la relève. Paco m’a rejoint au vestiaire.
– On va bientôt nous installer les nouveaux portiques, a-t-il annoncé, mine de rien. Comme dans les aéroports. Tu sais, ces scanners qui permettent de voir même à l’intérieur des gens…
Tout le monde était au courant mais il enfonçait le clou. Face aux progrès techniques, mes talents de physionomiste sont obsolètes. Bientôt, on démontera ma cabine et je me retrouverai avec Paco et sa bande autour des tapis roulants. Tu parles d’un avenir.
Je n’ai pas eu à répondre. Une violente déflagration a fait trembler les murs de l’Algeco qui abrite le poste de contrôle. Paco s’est précipité vers la fenêtre et moi j’en ai profité pour m’éclipser sans me retourner.
Le soir, je n’ai pas regardé la télé, contrairement à mon habitude. Les nouvelles du jour, je n’avais pas envie de les connaître. J’ai mis de l’ordre, j’ai fait un peu de déco. Sur la cheminée de ma chambre, il y a un David en plâtre façon bronze, un truc trouvé dans une vente d’Emmaüs. Il m’a fallu tout un rouleau de scotch pour lui fixer le coussin spécial hémorroïdes derrière la tête. Ça lui a fait une chouette auréole.

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

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