Paco les Mains Rouges de Vehlmann et Sagot, aux éd. Dargaud !

Au départ, un paysage silencieux…

Une forêt enneigée, le corps inerte d’un homme gisant et le sang qui s’en écoule. La nature s’est figée pour un instant. On imagine la vie comme en suspens, et le silence qui s’installe peu à peu dans la résonance de la détonation, du coup parti de ce fusil encore fumant. Le tireur reste immobile.

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Patrick Comasson l’instituteur vient de commettre l’irréparable.
Peut-être une bonne étoile veille-t-elle sur lui, peut-être est-ce à cause de son visage angélique? Condamné à l’échafaud, Patrick, dit Paco, échappe de justesse au souffle de la guillotine. Mais pour gracié qu’il soit, il n’a pas encore idée de ce que signifie sa nouvelle peine: le bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, la « tentiaire » à perpétuité !

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Bientôt c’est le départ, et commence alors l’épreuve de la traversée. Car si l’espérance de vie d’un bagnard envoyé en Guyane est de 5 ans en moyenne, le compte à rebours funeste débute bel et bien dès qu’il pose un pied sur le bateau. Paco, lui, est bien décidé à repousser au plus loin l’échéance de cette statistique.

Pour gagner le respect des autres prisonniers, mais aussi pour graver à jamais le souvenir de son pied-de-nez à la Faucheuse, l’ex-notable approche alors le clan des « Joyeux » de Biribi, et d’Armand, dit la « Bouzille » (comprendre : le tatouage en argot).

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Pas vraiment conscient qu’il se tient devant le haut du pavé de la hiérarchie des prisonniers, il réchappe sans le savoir à son premier « coup de sonnette », cette présélection rituelle qui détermine quelle sera la place, de dominant ou de dominé, des prisonniers.

Quand enfin le débarquement a lieu, c’est pour découvrir une contrée aux apparences paradisiaques trompeuses, un faux éden qui s’avère dès la première nuit être un véritable enfer. Un enfer qui transformera Paco à jamais…

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Premier tome du diptyque de Vehlmann et Sagot, Paco les mains rouges s’annonce à première vue comme le récit d’une descente aux enfers.

A travers le témoignage lucide et sans complaisance du narrateur, le portrait nous est fait d’un homme confronté aux horreurs du bagne. Son humanité est tour à tour mise à mal par la violence, la cruauté, l’arbitraire et la corruption mais aussi la maladie.

Bagnards

Vehlmann et Sagot nous livrent avec Paco les mains rouges un premier opus à la narration concise et simple, pudique et jamais larmoyante (sans doute le héros aura-t-il sublimé la douleur dès la première nuit…), ce qui le rend encore plus percutant.

Mais au delà du portrait plein de noirceur de la déchéance d’un homme, Paco les mains rouges s’inscrit dans la lignée des grands témoignages du siècle dernier. On pense bien sûr au récit partiellement autobiographique d’Henri Charrière dit « Papillon » et à sa célèbre adaptation cinématographique.

Papillon

On pense aussi aux reportages du journaliste Albert Londres, qui n’eut cesse de dénoncer l’horreur des conditions de « vie » des forçats, comme on peut le lire dans : Au bagne (1923).


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« Enfin, me voici au camp ; là, c’est le bagne. Le bagne n’est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C’est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c’est tout, et les morceaux vont où ils peuvent »

Bagne

« On me conduisit dans les locaux. D’abord je fis un pas en arrière. C’est la nouveauté du fait qui me suffoquait. Je n’avais encore jamais vu d’hommes en cage par cinquantaine. […] Ils se préparaient pour leur nuit. Cela grouillait dans le local. De cinq heures du soir à cinq heures du matin ils sont libres – dans leur cage ».

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Tout comme Albert Londres près d’un siècle plus tôt, Vehlmann nous raconte donc le bagne et ses forçats sous un jour différent. Les bagnards sont des hommes  – même si dans ce lieu, ils tendent à devenir des animaux. Des hommes avec des noms. Des hommes, qui au milieu de toute la noirceur de ce qu’on appelait la « guillotine sèche », ont encore un cœur et des sentiments…

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Si vous connaissiez Vehlmann pour ses nombreux scénarios (Jolies Ténèbres avec Kerascoët, Seuls avec Gazzotti, Green Manor avec Bodart, ou encore Le marquis d’Anaon dessiné par Bonhomme, et I.A.N. avec Meyer aux éd. Dargaud), peut-être découvrirez vous Eric Sagot avec Paco les mains rouges.

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Auteur des Carnets de voyage aux éditions Bikini, d’Arbreville aux éditions Carabas, également illustrateur aux éditions Atalante des couvertures de Johnny Maxwell de Terry Pratchett, Eric Sagot signe ici à la fois son premier ouvrage chez Dargaud, et sa première collaboration avec Vehlmann.

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Et l’on peut dire une chose, c’est que l’alchimie opère ! Avec son dessin naïf et synthétique, Sagot nous offre un contraste incroyable avec la dureté du récit; il en fait ressortir toute l’horreur. Et pourtant, c’est cette même simplicité qui parvient à en apaiser la violence.

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Parfois c’est la sérénité -ou la mélancolie- de ses planches qui nous propose une trêve. Certaines marines, certains paysages de jungle (qui ne sont pas sans rappeler un certain Henri Rousseau), nous laissent contemplatifs, comme immergés dans un vieil album photos aux teintes fanées, plongés dans des mémoires d’un autre temps, sans doute comme Paco dans ses propres souvenirs.

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Usant tous les deux des mêmes figures, en alternance ou de concert, on voit assez rarement une telle complémentarité dans un tandem ! Tantôt peu explicite voire elliptique, tantôt métaphorique, le dessin se fait pudique lorsque se développe la voix du narrateur, puis à son tour le récit se tait, laissant la place aux images, aux souvenirs. Sans faute de goût, sans voyeurisme, la concision du trait illustrant toujours, exaltant même, la sincérité du témoignage.


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Après la Colère de Fantômas paru début 2013, ou plus récemment avec Tyler Cross, les éditions Dargaud frappent une nouvelle fois très fort, et avec la même audace ! Vous l’aurez compris, le premier tome de Paco les mains rouges est notre très gros coup de cœur de la rentrée ! Et dans l’attente du second volet de ce diptyque, nous aurons le plaisir de vous accueillir très prochainement à l’occasion d’une rencontre-dédicace avec l’auteur : Eric Sagot, et ce sera le samedi 28 septembre, à partir de 15h30 à la librairie !!!

 

A propos de Sylvie

Gérante de la Librairie Bédéciné

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